LA REGLE PRIMITIVE - Chapitre Quatorzième :::: (Le 4ème H - Tome 1)



CHAPITRE QUATORZIEME


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« Que celui qui reçoit la Règle constitue un îlot de sérénité dans le chaos des strates :
il y rectifie les interprétations mauvaises, appelle parfois s’il ne sait pas,
et reste insoucieux d’exposer ses limites. »
Livre des Ressources – 10ème Tercet


(Puits d’Inari - Séminaire Classé - Septième Profondeur)


« Comme je vois leurs regards admiratifs je continue. Les mots viennent sans effort, un ramassis de mensonges qui alimente le personnage que je vais leur servir jusqu’au moment d’y aller. Je ne me retiens plus, pourvu que ça les marque. Je refuse tout, je fais rien de ce qu’ils me demandent, je passe mon temps dans la cellule des Penitentiels ou à la Corvée de Terre. Cette histoire de pilule K7, bien sûr que c’est n’importe quoi, je sais même pas vraiment à quoi elles servent : je ne connais que le nom, ça suffit pour inventer quelque chose. Je m’en fiche. Les autres ne vont pas tarder à partir et personne ne nous dit ce qu’il adviendra de nous et je resterai pas là à attendre qu’ils nous tirent des Vigiles sans prévenir pour nous trimbaler vers un autre endroit comme des sacs, les yeux collés par le sommeil. Je foutrai le camp avant. Elle me cachera. Elle refusera pas. M’Da trouvera une solution. Si je les laisse m’emmener ailleurs… Je l’ai dit à personne mais je souffre beaucoup. Tellement que j’ai eu peur d’être brisé, au début. Devenir à moitié dingo comme Hook le débile, là-bas, au Ligodon, dans le quartier des Moines. Complètement abruti. En attendant je déambule dans les tranchées pour maintenir la peur qu’ils ont de moi. En fait, ici, c’est une mer d’ennui. J’ai réfléchi longtemps, à cause de l’Ambre. J’ai mis du temps avant d’arriver à dormir sans me réveiller tous les demi-Quarts. Maintenant, je sais que je peux y arriver. Je connais par cœur les galeries de la mine, là-haut. Mieux qu’eux. La 80 continue durant au moins dix kilomètres vers le Nord. Et j’ai des torches.»
Ils mâchent chacun leur tour. Le même petit fil coriace luisant de bave. La vieille baderne en a fini avec les Examens : à vingt-neuf Cycles de la fin, ils en sont aux « interrogations orales », ces compétitions ridicules durant lesquelles ils doivent se défier mutuellement par le biais de la Règle. Il a joué à ce jeu avec son père, dans le Cuhc. C’était autre chose. C’était l’autre Règle. Alors maintenant, ils se défient entre eux, loin des Frères. Vraiment. Le filament est remâché le plus longtemps possible, puis la tête leur tourne suffisamment. Ca commence comme ça, au bord de la nausée. Il fait chaud dans les anciennes latrines : comme elles jouxtent les turbines de ventilation, la vapeur des moteurs empêche de respirer, ils gagnent du temps. Dans quelques instants, la Sonnaille retentira et il faudra retourner à leur manège. Giro, Nadun, Manyan. Ils partagent les Laures mais n’ont rien de commun avec les autres. Ceux qui se couchent quand eux s’allongent, qui mangent quand eux se nourrissent, qui récitent quand eux pensent. Voir plus loin. Anticiper. Réfléchir à la meilleure façon de foutre le camp.
Des gars ont déjà quitté le Cloître, sans explication. Ici, rien ne leur est jamais expliqué.  « Seule la pierre connaît le nombre des Congrégations » leur a répondu la vieille baderne pour faire son intéressant. Il rate jamais une occasion. Il est plutôt fortiche, c’est sûr, mais de là à vouloir faire de chaque chose une sorte de mystère… Rod a été de ceux-là : plus de nouvelles de lui depuis trois Cycles. De toute façon, Rod n’a fait que souffrir ici. Peut-être qu’il aurait lui-même fini par lui faire du mal. Giro l’aurait probablement exigé, pour le tester : une spirale s’est enclenchée depuis l’Ambre, à vitesse constante. Des choses se passent que personne ne veut voir dans le tunnel derrière la chaudière. Prosper et Isheem ont été écartés et Vear et Grimaud, bien qu’ils fassent partie des plus anciens, n’ont plus leur mot à dire. Ils ont la pétoche, eux aussi. Eux trois, seuls, possèdent l’Œil. Les autres ne seront jamais que d’obscurs serviteurs d’offices.
Pour l’heure, ils ont parié. Giro, et Nadun. Jeen-la fouine, lui aussi, est absent d’Inari depuis pas mal de temps : l’occasion est trop belle. La nouvelle a fait le tour des Laures. Chacun des deux doit parvenir à faire saigner du nez un des lèche-culs de la tranchée Une (celle de Mark) dans son sommeil. Ils suceront le fil, pour ça. Pour faire venir leur truc. Cela fait maintenant quelques minutes qu’ils s’attellent à l’exercice sous le regard de Manyan, qui arbitre. L’enjeu est de taille. Nadun a prétexté qu’au Ligodon, il dominait déjà son Œil grâce à des pilules de K7 qu’il volait à son Père - ce qui est entièrement faux : il aurait été totalement impossible de lui en dérober une seule, lui qui les compte avec obsession, allant même jusqu’à vérifier leur alignement - et Giro l’a traité de menteur. Giro, pas plus que Manyan, ne sait pas qu’un sujet de moins de quarante kilos perdrait complètement la raison s’il se risquait à en avaler ne serait-ce que la moitié d’une mais il en a juste un peu marre que Nadun tire la couverture à lui depuis qu’il redescend de l’Ambre du Niveau d’Accueil. Il se fait punir exprès, tout le monde le sait, faut être un moine imbécile d’Inari pour pas comprendre, un putain de fantôme à la cervelle grillée. Des fois, ça se voit tellement qu’il invente qu’ils ne font même plus de commentaires. Ils savent qu’il pleure, quand il croit que les autres dorment. Ils voient bien qu’il en bave. Ils aimeraient pas qu’on le dise d’eux non plus, quand ils étouffent du mieux possible des spasmes de chagrin hoqueteux sous la couverture. Ici, tout le monde flanche à un moment où à un autre. En tout cas, Nadun a soutenu avec aplomb cette histoire de pilule et cette fois, Giro en a eu marre. Et alors ? C’était pas lui, peut-être, qui avait donné la chiasse à Flös ? C’était peut-être pas grâce à lui si ce petit lécheur était cloué sur son grabat depuis les Séduales, hein ? Utiliser son Œil, « c’était à la portée de n’importe qui de pas trop con ».
Nadun a choisi Axel comme cible. Pas qu’il ne l’aime pas, mais c’est le plus âgé d’entre eux : la performance en sera plus marquante. Il enchaîne une série de grimaces qui lui donnent, pense-t-il, un peu de cet air que prenait le vieux Kiel au Ligodon, à la fin de l’Offre, quand il soufflait les bougies en les regardant droit dans les yeux avec sa tête de squelette. Ca semble assez bien marcher s’il en croit la mine de ceux qui montent la garde aux croisées. Giro, lui, a pris la Posture du Vent. Il va falloir que Nadun mette le paquet, il a l’air déterminé. Giro sait se battre, il a beau pas être bien grand, il balance les coups avec férocité, il fait diablement mal. Il court vite aussi. Les Frères suent sang et eau pour le rattraper lorsqu’il détale dans les conduits pour échapper à un Penitenciel, jusqu’à ce que Jeen le coince. Jeen le coince toujours. Un salopard de première, celui-là. Impossible de comprendre pourquoi Manyan l’aime bien. Au contact de Giro, Nadun est devenu mauvais : il a appris que ses grandes jambes permettaient de balancer de terribles coups de pieds, mais c’est pas pour ça qu’on le respecte. Une énième bagarre avec Prosper a tourné à son désavantage, heureusement pour lui que Jeen les avait séparés, il était parti pour prendre une trempe. Depuis, son choix s’est porté ailleurs : lui, il s’oppose aux Livrets. La vieille baderne a fini par le prendre en grippe pour ça. Il l’attrape par le coude et l’entraîne à travers les couloirs en soufflant fort par le nez jusqu’à la porte d’une cellule et le laisse croupir là pendant des Quarts sans même le sortir pour le repas. Dans ce cas-là, Jeen essaie de faire copain-copain. Il vient lui parler derrière la porte, il lui balance ses trucs à la con sur l’intérêt de grandir un peu mais il peut aller se faire voir, ce ne sera jamais son ami.
Giro est aussi le seul à savoir qu’il a été mené au Mur et qu’il a consulté. Ils forment, disent-ils, une équipe, tous les deux. Avec Manyan. Même si Manyan les énerve parce qu’il est opportuniste, qu’il sourit presque tout le temps et que de façon générale, on l’aime bien. Surtout les faibles, avec lesquels il est gentil. Nadun préfère Giro, et Giro, Nadun. Mais Manyan reste le Troisième, donc il est avec eux.
Pour ne pas être en reste, Nadun essaie réellement de plonger avec, en filigrane, la sensation trouble d’un viol des Us mais il est trop tard pour reculer. De toute façon, ils ont pris l’Ambre. Et puis, quand il sera seul, il devra pouvoir le faire sans que la vieille baderne ne l’aide ou ne le surveille. Faut qu’il s’entraîne. Ca lui servira, dans les coursives.
Il se concentre sur son souffle, comme Estheb le leur apprend. Il compte dans sa tête. Un deux trois, j’aspire. Un deux trois, je bloque. Un deux trois, je souffle. Il oublie le tunnel et le cloître, s’écarte momentanément du jeu. Il n’essaie plus de grimacer, il se concentre. Lentement, il gonfle et dégonfle son abdomen. Il sent l’effet de l’Ambre. Ses lèvres deviennent insensibles et il y a ses dents, dont il sent désormais les racines dans la chair de ses gencives. Et puis ça bourdonne dans sa tête comme un petit moteur de ventilation qu’il entend ronronner comme un bruit de fond. Ce n’est que lorsqu’il veut jeter un regard à Giro qu’il le réalise : il est avec l’Œil.
« Alors que je ne croyais que très modérément à la possibilité de L’allumer sans aide, des images se sont succédées un peu au hasard, puis à une cadence folle : j’ai pensé au grand Axel  mais très vite c’est allé trop vite, et trop fort, alors j’ai eu la trouille et des sons se sont mis à partir de derrière mon cou pour siffler au fond de mes oreilles. La panique m’a coupé la respiration ; des flashes ont jailli de toute part : ma mère, le Temple, le Worlex, des cris, des corps, des choses très rapides, plus rien ne va et je me retrouve face au visage du Mur que j’ai pénétré à Areie : je soutiens son regard horrible et il me parle, puis il se transforme en Molin, non, en Maulian, puis en autre chose qui ressemble à Maulian qui aurait vieilli et qui me dit des choses que je ne comprends pas, je lui crie d’arrêter mais il continue, il me veut du mal alors je crie encore, je le repousse, il faut me battre de toutes mes forces au point que ça m’arrache des larmes mais il résiste tellement, il veut tellement me crier ses mots que mon cœur semble exploser et tout s’arrête. »

Il lève les yeux et rencontre la mine incrédule de Frère Haas. Derrière lui il y a d’autres gens, trop loin pour savoir qui. Pas les autres en tout cas, ils ont tous disparu. Il découvre les sacs éjectés alentour, avec des vêtements accrochés à des tuyères et d’autres éparpillés dans le corridor. L’odeur est âcre et les parois, noircies, dégagent une drôle d’odeur. Une odeur de plomb. Il les voit maintenant. Ils sont agglutinés derrière la vieille baderne, avec un autre type qu’il ne connaît pas. Un vieux avec un drôle de nez, un peu chauve. Avec des bottes. De sacrées drôles de bottes. Fumants comme des spectres, le visage crispé et pour certains, sans chaussures. Ils le regardent tous. Nadun repère Manyan qui ne sourit pas. Il tourne un peu la tête. Le type aux bottes, son nom flotte en surimpression dans sa tête. Baltimore. Balt. Il le sent fatigué. Il se sent fatigué, lui aussi : il pourrait s’endormir là, sur place, devant eux tous, juste en fermant les yeux. Puis à sa droite, dans un silence appuyé, s’est détachée la voix de Giro qui, ignorant la scène, ancré confortablement dans la niche-incendie intacte, tient encore la Posture du Vent et vient d’entamer les psalmodies avec une concentration fastidieuse. L’éclat de voix d’Estheb lui fait ouvrir un œil avec prudence. L’autre type, celui avec les bottes, le fixe toujours lui et pas Giro comme les autres, qui fait une tête pas possible, du coup. Au loin, Frère Sotov emmène Axel - le grand - qui pleurniche en maintenant sous son nez un tissu douteux maculé d’un sang clair.
L’onde a fissuré deux rivets de la première jonction. Il sait que c’est lui. Il sait que c’est sorti de lui. Ses mains tremblent un peu. Cette fois, ils sont bons pour une correction. Et pas une petite.


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(Puits de Sephta – Niveau d’Accueil – Zone déclassée)


« Quand les petits groupes deviendront des vagues - et croyez-moi, ça ne va plus tarder – il faudra être prêts. Rien à voir, ça c’est sûr. Il faut une vision d’ensemble. Faut anticiper si on veut pas rater le coche : les vrais enjeux, les sites stratégiques à occuper… »
La transition est si abrupte, si volontaire que Panthéa opte pour le cynisme :
« Président, ne craignez-vous pas d’avoir une vision soudainement trop pragmatique de ce qui n’est encore qu’une supposition ? A ma connaissance, aucune zone de Surface n’a encore d’infrastructures en état de fonctionner…
- Panthéa, personne ne devrait avoir de certitude sur rien concernant la Surface - lui a décidé de ne pas relever la provocation-. Prends l’Enfoui lambda : quel que soit ce qui l’attend là-haut, il va vouloir y aller. Tu ne peux rien y faire, alors autant avoir un coup d’avance. »
Personne ne sait exactement combien de Quarts ça va prendre, ni de combien de temps ils disposent : la durée de ce Conseil n’a pas été déterminée. Maulian n’a même pas pris la peine de leur montrer où ils seront installés : leurs sacs sont toujours dans la pièce, posés les uns sur les autres près du pupitre. En tout cas, Georges semble agir comme si tout était question de minutes et surtout, comme si tout avait été dit au sujet de Nadun : «Tu penses vraiment que je me suis coltiné tous ces kilomètres pour venir écouter personnellement le rapport de cet abruti ? Ou bien, je sais pas moi, pour faire une sorte de pèlerinage ? Tu crois que je me suis humilié à me comporter comme un putain de Retranché pendant des dizaines de Quarts pour éviter d’être reconnu par le premier dingue venu qui voudrait, au hasard, me kidnapper en échange de je-ne-sais-quoi, ou mieux, me faire la peau ? Merde, personne n’a plus la moindre raison de revenir visiter ce cimetière. Ca date d’il y a un siècle, cette histoire ! Que ce petit merdeux d’irradié ait sucé les seins de sa mère dans la pièce d’à-côté ou à l’autre bout du monde, qu’est-ce que tu veux que ça me foute ?»
 Emmerick en a les jambes sciées : il avait commencé en installant un sens de l’étiquette démesurément grave et totalement inutile, et voilà que l’instant d’après il jurait comme un Piochard en foulant au pied la maigre part de solennité qu’il convenait de donner encore à ce sommet. Etait-il dans son état normal ? « Je me suis tapé la route pour une seule raison : c’est ici qu’ils sont les plus nombreux. Je sais pas pourquoi, mais c’est précisément ici que des types, par brassées entières, grouillent dehors. Le cul dans la neige ! Juste parce que cette saloperie de blizzard souffle tellement qu’à force, l’air est presque devenu respirable. Alors ne viens pas me bassiner avec toutes ces conneries, là dehors ils ont pas l’air d’avoir besoin d’infrastructures ! Pas très difficile d’imaginer le temps que ça va prendre pour qu’ils s’installent dans des endroits un peu moins pourri Et vous, pendant ce temps, vous proposez quoi, tu peux me dire ? De s’astiquer avec les histoires du gamin. On est là. On s’échine à comprendre quel genre d’idiotie pourrait bien lui passer par la tête, à quelle heure il a sommeil, s’il s’est suffisamment bien essuyé sa morve après avoir chialé. Ou alors quoi, on vient peut-être prendre des nouvelles de son putain de traître de père ? Voir si la santé est bonne, s’il ne manque de rien ? Merde, fallait peut-être amener un cadeau souvenir ?
 - Tu as tout à fait raison Georges. Y’a des gens dehors, déjà : c’est bien ça. Et tu sais quoi ? Les Séminaires auraient pu empêcher ça. Continuer à juguler les désirs de Remontée. Maintenir l’ordre, enseigner la Règle, repérer les déviances… Mais vous n’avez plus jugé utile de nous envoyer les enfants en âge de Prétendance : Léo, Balt, Jean-Paul et toi vous avez décrété que ça n’était plus nécessaire, que ça n’avait plus aucune importance. Et bien on y est : voilà où tout ça nous conduit. »
Des milliers de kilomètres pour se jeter des blâmes au visage ? Ils sont tous harassés, c’est totalement stérile. Pourquoi ne pas ramener la conversation à ce qui les a obligés à sortir de leurs zones de confort respectives ? Emmerick la regarde bouillir de l’intérieur, les prunelles sombres comme de la houille : fait-elle semblant, ou quelques minutes ont-elles vraiment suffi à ce qu’il l’insupporte à nouveau, leur répulsion l’un de l’autre s’avérant intacte malgré les années ?
« Cela a probablement conduit à ce que l’Avent soit un peu moins omniprésent. - il la renvoie à sa propre acidité - De là à mettre le flux de Remontée tout entier sur le compte de la désertion des Cloîtres, c’est un peu simpliste, non ?
- Le principe de la Prétendance a été pensé comme un moyen de contrôle : nous l’avons tous validé. Même toi, Léo : c’est même un des rares accords de la Duale que tu n’as pas dénoncé au moment de nous forcer la main. » 
L’asiatique, bien que directement apostrophé, garde le regard sur ses mains jointes. En a-t-il, comme Emmerick, déjà marre ? Le regard de Panthéa s’évade une seconde de l’autre côté de la vitre mais à cause de l’éclairage trop cru, elle ne distingue rien d’autre que de la pénombre. « C’est grâce à la Prétendance que les jeunes générations se familiarisent avec la Règle, qu’ils apprennent à la respecter. Qu’ils apprennent à nous respecter. C’est ce que nous visons avec cet enfant. Et quant à savoir pourquoi c’est précisément ici, à l’endroit même où nous l’avons envoyé, que le plus grand nombre d’Enfouis se retrouve à l’extérieur, peut-être que le « putain de traître » pourrait t’en apprendre, non ? Peut-être que les lapons pourraient nous fournir un semblant d’explication, si tu te donnais la peine de seulement leur jeter un regard ? Eux, ils bossent pour nous! Ils observent les lois que nous leur avons données, ils obéissent à nos règles, ils obéissent à La Règle. La Règle, c’est notre seule assurance. Si vous commencez vous-même à vous en arranger à votre convenance, pourquoi eux continueraient-ils de la craindre ?
- Tu confonds tout, Mère. La Règle n’est pas capable de répondre à tout. Ca a peut-être été le cas au début, mais on a tous fini par statuer sur des choses auxquelles nous n’avions même pas songé : des enfants sont nés, des Cités se sont développées, des tas de nouveaux échanges ont eu lieu, on a tous eu besoin d’établir d’autres codes pour gérer ça, même toi si tu voulais bien l’avouer : la Septième est bardée de procédures qui n’ont rien à voir, de près ou de loin, avec le moindre Tercet ! Il faut te rendre à l’évidence : ça fait un certain temps qu’il n’y a plus de raisons autres qu’idéologiques de maintenir les vieux rites de l’Avent, à commencer par cette histoire de Noviciat… La Nouvelle Génération n’aspire plus vraiment à l’ascèse, j’espère que tu l’as remarqué ? Cela fait un certain temps qu’arriver à être nommé Prélat par un Lanistère  – je ne parle même pas des vocations monastiques – n’est plus un rêve pour personne : faut-il que tu sois sacrément hypocrite pour prétendre le contraire. C’est ça qu’il te dit, ce foutu gosse : ta Règle, il s’en peigne ! »
Comment peut-il être si agressif, si opiniâtre, si agaçant dès les premières minutes ? Ne pas voir à quel point il les met tous mal-à-l’aise, probablement plus que Maulian dont il profite lâchement de l’absence ? Ne rêve-t-il pas d’un matelas sur lequel s’allonger lui aussi, d’un coin ou poser ses affaires, de dégrafer son manteau ? Il la connaît aussi bien qu’eux, elle ne laissera jamais tomber.
« En tout cas c’est le seul socle commun que nous ayons. Les trois Réseaux. Sans Elle, chacun des Puits finirait par s’en remettre à sa propre loi : alors imaginez un instant. Imaginez, si le libre accès inter-Profondeurs était aboli.
- Le libre-accès ? En dehors des Moines et des Prêtres qui continuent d’imposer leur présence à l’ensemble des niveaux, on ne voit pas beaucoup d’habitants de Cinquième, et encore moins de Sixième, continuer à voyager dans les Profondeurs !… »
Elle enrage. Toutes ces heures de sommeil gâchées à soupeser son argumentaire, à essayer d’anticiper l’endroit où il essaierait de la coincer, à tenter de se mettre dans sa peau, envisageant en quoi les années auraient influé sur son foutu caractère pour avoir de quoi contrecarrer ses tentatives de revenir sur leurs décisions, tout ça pour se faire cueillir comme une débutante. Voilà qu’il emportait le Conseil tout entier sur un radeau en pleine tempête. Pire, en l’obligeant à se défendre sans même qu’ils n’aient eu le temps de souffler, il la pousse à réagir dans le plus parfait désordre sans qu’elle ne puisse rien développer : dans le Quart à venir, elle donnera l’impression de n’avoir plus rien à lui opposer, sans compter qu’elle passera une fois de plus pour un égocentrique capricieuse. Insupportable, la sensation de s’enliser lui fait perdre encore davantage de ses moyens, si c’était possible.
« Peut-être que si les Mines arrêtaient de dénigrer la Septième et que le Chevron ouvrait ses portes avec un peu plus de facilité aux malades, les Enfouis circuleraient davantage… Peut-être qu’ils gouteraient à une liberté qui leur fait défaut, peut-être même que l’idée de remonter leur paraîtrait moins excitante !
- Balivernes… » Saintauret souffle en levant les yeux au ciel. « J’ai mis des lustres pour rejoindre ce foutu Bunker et crois-moi, personne n’a envie de se taper des kilomètres de coursives noires comme le cul d’un Tobbe juste pour balader ou aller vérifier si la bouffe de son voisin est aussi dégueulasse que la sienne. »
La fatigue lamine Georges tout autant qu’eux mais il en va de la stratégie pour laquelle il a opté : sectionner brutalement la colonne vertébrale du Conseil à coups d’embardées vulgaires et simplistes, avant-même qu’ils n’entrent véritablement dans la partie. Hors de question de la laisser installer cet insidieux mélange de nostalgie, de séduction et de sensiblerie au fur et à mesure que coupés de tout, replongés dans un repaire de souvenirs houleux, ils ne finissent par partager une intimité qui lui sera favorable. Au jeu de la persuasion, il sait pertinemment qu’il sera battu. C’est maintenant qu’il lui faut jeter toutes ses forces. L’acculer à l’énervement, lui couper les jambes. Si ce repoussant boutonneux qu’elle leur a amenés retient Maulian suffisamment longtemps, la lourdeur de Jean-Paul et les insupportables demi-silences de Léo devraient suffire.
« Les déplacements ont toujours été facteur de progrès, de liberté et d’émulation, Jean-Paul… (ça y est : elle tente de l’amadouer.)
- C’est la Règle elle-même qui annihile toute possibilité de progrès et de liberté. Nous l’avons voulu comme ça, je te rappelle que nous étions là, inutile d’essayer de nousla faireà l’envers. Garde ce genre de bobards pour tes Dévots. La Règle est conçue pour écraser tout, chapeauter tout, diriger tout. C’est Elle qui fait fuir. Et pire, maintenant, elle étouffe notre expansion…
- N’est-ce pas cette expansion, justement, le problème ? Quand un gobelet est plein, effectivement, il déborde : la Rémontée, c’est peut-être aussi simple que ça. C’est peut-être aussi simple que de revenir au contrôle des natalités dont Léonard devait assurer la maîtrise, continuer d’appliquer la Loi des Affectations, assurer la Surveillance Sanitaire, faire respecter l’obligation de présence aux Services, bref, appliquer les Tercets point par point. La Règle est en mesure de répondre à tous les enjeux. C’est pour ça qu’elle a été conçue : désolée que tu aies compris les choses de travers. En tout cas, tu ne peux pas laisser délibérément les choses échapper à son contrôle, et dénoncer ensuite son incapacité à les maîtriser. C’est juste incohérent.
- Bah, tu ne fais que défendre les prérogatives de l’Avent : que tes Moines et tes Prêtres soient de moins en moins tolérés dans les Profondeurs, voilà ce qui t’embête. Etre cantonnée à ta Septième.
- Ma Septième ? Mais aucun de nous n’a « sa » Profondeur ! La Triale, c’est ça : nous sommes tous gestionnaires des Profondeurs ensembles !
- Pourtant, tout le monde s’en porterait mieux si on voyait un peu moins de bures dans les coursives…
- Ou un peu plus de miniers et de corporatistes en Septième !
- Ils n’ont plus grand chose à y faire…
- Ils trouvent pourtant bien leur chemin quand il s’agit d’aller pirater le Mur. »
Il n’échappe à personne qu’Emmerick vient de tressaillir. Mais la tournure de l’échange, pour l’instant, ne laisse pas de place à un troisième interlocuteur - à moins qu’il ne veuille s’interposer entre eux et au vu de sa position, Emmerick se gardera bien de s’y risquer.
« De ce que j’ai cru comprendre, ce n’est pas ce qu’il y a de plus facile à faire dans la Cité-Mère… N’est-ce pas, Emmerick ? »
Avec un sourire contrit, le Haut Dévot lève les yeux vers Preutt. S’agit-il d’une chance de mettre un terme à la confiscation du débat ?
« Je me contente, à ma façon, de garder un ascendant sur cette pulsion de Remontée : en Septième, tout ce qui nous arrive d’en haut ne cherche plus qu’à mettre la main sur un plan d’échelle ou une carte de vannes. Je serais bien incapable de citer à quand remonte la dernière insertion de donnée proposée par un minier ou un corporatiste : peut-être n’y a-t-il plus la moindre archive dans les salles d’orientation de la Cinquième, qui sait ? Peut-être que vos ingénieurs n’inventent plus rien ? En tout cas, les miniers semblent avoir tous oublié que le Mur n’est pas un service, mais un outil contributif : je trouve normal que si rien n’est jamais donné au Terminal, il finisse par ne plus offrir non plus. Les Corporatistes ont au moins la décence de ne pas venir le piller...
- Mes gars à moi vivent aussi très bien sans, Emmerick… Si tu veux mon avis, les…
- Je ne vois pas l’intérêt que tu nous donnes encore une fois ton avis, Jean-Paul. Pour tout te dire, tu disparais pendant des Grand-Cycles entiers à l’autre bout des Profondeurs, tu te désintéresses de tout ce qui s’y passe, et puis soudainement tu décides, sans qu’on ne sache vraiment pourquoi, de réapparaître. Soit. Balt n’est pas là, toi tu réapparais : après tout, tu es probablement en droit de le faire. Mais si tu optes pour nous laisser patauger dans la merde, si tu choisis de fuir et de t’enfermer loin de nous en nous laissant le colis sur les bras, alors épargne-nous tes commentaires. Tu ne veux pas entendre parler du Mur ? Parfait. Je ne souhaite pas t’en entendre parler non plus. Les histoires de Nadun t’ennuient ? Ne t’en mêle pas plus. Et j’avoue que c’est bizarre, Georges – il revient au Grand Timon -, tous ces gens laissés libres de descendre chez nous dans le seul but de trouver comment remonter au-delà de la Cinquième... C’est un peu comme pour toi, Jean-Paul : on ne peut pas cracher dans la soupe, puis venir s’attabler quand la Sonaille du repas résonne. »
Mince. Celui-là n’était pas aussi incisif, dans le souvenir du Milicien. Il l’avait quitté brisé, mutique, honteux, et n’avait pas vraiment envisagé qu’il se mette en travers de la route de Preutt avec autant d’aplomb. D’où sort-il cette assurance ? 
« Ne sois pas bête Emmerick : nous n’avons jamais encouragé personne à se rendre au Mur pour de mauvaise raisons ; quand des gars de chez nous descendent, la plupart du temps c’est pour des consultations techniques.
- Ce ne sont pas des consultations techniques, Georges : ce sont des consultations déviantes. Illégales. Des consultations qui insultent l’Avent. Nous devrions tous corriger quiconque essaie d’en mener de pareilles. »
Il va falloir se méfier de lui. Les cartes sont rebattues, pour cette fois.
« J’ai laissé des consignes pour qu’on limite les accès aux ascenseurs de descente, et des équipes travaillent en ce moment-même à cartographier très précisément notre réseau d’échelles : tu vois, je prends toutes les précautions nécessaires… 
- Limiter les possibilités de déplacement ne résoudra pas le problème, bien au contraire. » Panthéa refait surface. « Il faut dissuader les habitants de remonter ;  démonter leurs arguments, pas leur compliquer la tâche : ils vont croire encore davantage qu’on les prive de quelque chose. »
A elle, il faut continuer de servir des provocations. Leur plan est en train de foirer : « Tu crois vraiment qu’il est encore temps de leur faire la morale ? Tu veux tenir par la main chaque Enfoui pour continuer à essayer de lui délivrer la Bonne Parole ? Merde, c’est Mère ou Maman qu’il faut t’appeler ?
- Et toi, tu prêches pour une séparation de la Triale ? »
Il en reste estomaqué. Il l’avait oublié, il n’a pas affaire à une mijaurée, Panthéa avait peut-être même le plus sale caractère qui soit pour une putain de bonne femme. Une vraie sorcière, quand elle s’y mettait. Plutôt désarçonné, il s’en tire avec une flagornerie : « Je ne prêche pas, Panthéa ; ça fait bien longtemps que je ne prêche plus : j’administre. C’est assez différent. Ca demande un peu plus de clairvoyance.
- Mais administrer ta seule Profondeur, c’est justement ça qui permet à la Remontée de leur polluer la cervelle ! Merde Georges, si chaque Réseau est autonome, alors chaque Cité-Puits devient indépendante, avec ses propres codes, ses propres règles, sa propre morale, sa propre justice, sa propre économie, sa propre gestion des malades ! Pourquoi ne pas tenter sa chance ailleurs du coup, hein, dis-moi ? Pourquoi n’existerait-il pas, à ce moment-là, un endroit mieux géré, plus confortable, plus libertaire le kilomètre plus loin, ou le kilomètre plus haut ? D’où crois-tu que viennent ces types là-dehors, hein ? Du néant ? Ils viennent de chez toi, de chez moi, d’Odz, d’Areie, d’Ost aussi, d’Iola même, pourquoi pas ? »
A l’abri des regards, Anmuroy rit pour lui-même. Personne ne remonte depuis la Sixième. L’échange est tendu mais conserve un côté divertissant, finalement. 
« Il est du ressort de chacun de nous de faire en sorte que nos résidents se sentent bien là où ils sont : et à ce jeu, il semblerait que la Septième soit la grande perdante, non ? Si mes informations sont correctes, les Cité-Puits de la Ligne sont les plus désertées des Profondeurs, Panthéa… Ca devrait t’interpeller, non ? Le seul endroit où la Règle est encore appliquée à la lettre
- Mais que faites-vous de l’Avent ? Georges ? Léo ?... Merde, que croyez-vous que vous êtes en dehors de lui ? »
Face à la supplique qui lui est adressée, une gêne fugace s’empare de l’asiatique : le seul problème, c’est qu’en ayant décidé de s’associer à Georges pour récupérer l’enfant, celui-là semble considérer qu’il partage sa vision des choses. Pour tout dire, son idée d’investir la Surface lui parait passablement stupide, sans parler de la médiocrité de la stratégie qu’il est en train de déployer pour la faire valoir. Il comprend parfaitement Panthéa, et même qu’Emmerick s’enhardisse : ce qu’il est en train de leur jouer est vulgaire. Leur déception à tous les deux semble si réelle, leur déconvenue si sincère qu’il ne peut empêcher une ombre d’empathie de le traverser. Saintauret la balaye :
« Ho, on sait bien ce qu’elle te doit va, cette foutue Règle : une religion sans dieu qui ne dit pas ce qu’elle est, camouflée sous de belles maximes pour imposer un code liberticide ! La belle affaire. On n’est plus en Quatrième, faut vous réveiller. »
Preut se félicite une fois de plus de l’avoir emmené : cette fois, la Mère ne peut réprimer une franche colère dont un éclair incendiaire frappe le vieux moustachu en plein front :
«  La belle affaire Jean-Paul, des hommes à nouveau libres de devenir débiles et de s’entretuer, chacun avec son petit drapeau !…Pan pan pan, qui aura la plus grosse ? »
Le milicien la regarde, ébahi : vient-elle de le traiter de débile ? A sa mine, elle s’en veut à son tour : Georges est en train de réussir à ce qu’elle les dresse contre elle, l’un après l’autre. Sans Emmerick, elle serait déjà au bord du précipice. Epuisée, elle tente de se reprendre :
« Jean-Paul, si le religieux disparaît, autre chose prend racine, tu le sais. Appelle ça comme tu veux, mais ça ressemblera, quoi qu’il arrive, à de la sauvagerie.
- Mais là où le religieux s’impose à tort, l’individu se révolte. » Preutt, évidemment, est venu à la rescousse de son allié, qui en profite pour rebondir - de travers : « Et les révoltes, ça se mâte. »
Léonard s’interpose : cette fois, ça en est trop.
« Dans un couloir, peut-être. Là-haut, ça demandera un peu plus de jugeote. »
Elle vient de réaliser que l’échange est devenu inextricable. Autant faire machine arrière, se résigner à perdre. Une fois qu’ils se seront installés, les choses seront plus faciles. Elle leur parlera d’Hymett, Jean-Paul en aura l’œil humide. Elle insistera pour savoir où est Balt. Elle leur fera du café, avec les dosettes lyophilisées qu’elle a emmenées exprès de sa réserve personnelle, une vraie merveille. Georges continuera de pester, de parler trop fort, fera semblant de s’indigner mais au final, elle les fera plier. Elle commence à tirer sur l’extrémité de son gant pour en libérer une main blanche. Seul Maulian la tracasse. Maulian, c’est autre chose.
« Ecoutez, il faudrait qu’on reparle de tout ça à tête reposée…
- Tu as raison, allons nous allonger : et quoi ? Ce n’est pas comme si nous avions des raisons de nous inquiéter, pas vrai ? Ce n’est pas comme si tout était en train de foutre le camp ! Allons tranquillement défaire nos sacs et nous installer une petite place au chaud : à l’occasion, quand tu auras fini de te refaire une beauté, tu m’expliqueras comment on va gérer le reste des piles entassées là-dessous, qui, au cas où personne ne t’aurait prévenue, se réduisent comme peau de chagrin ? Je suis curieux de savoir comment tu comptes faire rester tout le monde dans les Puits alors qu’inversement, chaque Cité demande davantage d’air, de lumière, de nourriture et de soins ? Mais ne te presse pas hein, surtout, prends ton temps. On est carrément sur place : cramons donc une barre entière pour réchauffer cet igloo, on sera au sec. Tu comptes sur qui exactement, hein ? Le gosse, ou son père ?»
Bon sang, où Georges puise-t-il l’énergie nécessaire ? Cette fois, le cœur n’y est plus : elle réplique un peu dans le vide : « On va étudier tout ça. On trouvera des solutions pour administrer tout ça. La Triale sert à ça non ?
- A administrer. Exactement. La Triale est l’expression civile de la Règle : tu vois, nous nous rejoignons ! - il se surprend de ses propres fulgurances : il se trouve même bon - Et la Triale, si elle peut administrer, peut donc gérer la Remontée. L’encadrer. Gouverner en bas, et en haut.
- Mais c’est un rêve impossible, Georges ! Si déjà une Règle que nous avons engendré ensembles échoue à s’appliquer uniformément dans les Trois Profondeurs, comment penses-tu qu’une sorte d’Etat puisse y parvenir à la Surface ? Tu auras trois états distincts qui finiront par viser les mêmes richesses s’il y en a encore, les mêmes abris pour ceux qui sont encore debout, les mêmes terres à peu près arables… La même Surface. Et tu sais quoi ?...
- Ce sera la guerre. » 
Aucun d’entre eux ne les a entendus rentrer. La porte glisse sur son rail pneumatique que Maulian est déjà adossé contre la vitre incurvée. Jeen, qui n’a pas dépassé l’encadrement de la porte, se tient dans l’ombre. Sa réplique reste figée dans l’air comme un couteau lancé dans une porte.
« Où étiez-vous passés ? Jeen ? »
Le Convers fait un pas en avant. Ses joues d’un rose vif tranchent sur l’extrême pâleur d’un front couronné de cheveux en désordre. Sur le devant de sa combinaison, une tâche auréole le tissu.
« Bon sang, ce connard s’est gerbé dessus ! Saintauet se recule en se pinçant le nez.
- Jeen n’avait pas eu l’occasion de bien voir la Surface tout à l’heure. Enfin, pas telle qu’on peut la voir depuis ici. On est resté probablement un peu trop longtemps sous le vent, ça l’a rendu malade… Rien de grave.
- Voir la Surface ? Mais enfin Maulian, de quoi… Comment vous sentez-vous, Jeen ? Maulian vous a-t-il fait du mal ?
Le Convers passe une main sur sa joue, l’air vaguement contrit.
- Non, Mère, tout va bien. Je vous assure.
Emmerick le dévisage lentement, de la tête au pied, comme Léonard. Mais Maulian choisit de se pencher dans la lumière.
- Et vous, Georges ? De quoi parliez-vous exactement ?…
- Et si nous allions voir à quel endroit tu as décidé de nous installer le coupe Emmerick d’une voix faussement amène : il me semble que nous avons tous besoin de nous rafraîchir un peu… Enfin, si tu as eu la délicatesse de provisionner un peu d’eau ?
- Au cas où ça t’aurait échappé Maverick, cet endroit du Réseau n’est pas vraiment doté du confort de vos Cités-Mère : ici, il ne suffit pas d’envoyer un Novice dans un couloir pour qu’il revienne avec ce que l’on désire. C’est un tout petit peu plus compliqué que ça. Mais rassure-toi : des matelas propres et des provisions vous attendent un peu plus loin, dans des chambres étanches presque chauffées. »

Et si y’a bien un truc qui ne manque pas par ici putain, c’est bien de l’eau, ajoute-t-il pour lui-même.

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