LA REGLE PRIMITIVE - Chapitre Dix-Neuvième ::: (Le 4ème H - Tome 1)



CHAPITRE DIX-NEUVIEME


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« Nulle roche n’arrête les Tercets. Partout, la Règle s’étend.
Seules les âmes gâtées pensent pouvoir Lui fermer leurs portes.
Et même chez ceux-là, la Règle dicte sa loi. »
Livre des Aventiens – 15ème Tercet


(Huitième Profondeur – quelque part)


En rasant la paroi, il revint vers l’endroit où il lui avait semblé l’entendre s’enfuir en dérapant. Son Œil ronflait dans son crâne comme une locomotive, le coupant vaguement des sons extérieurs.
« Lisa ? Babeth ?... »
Pas de réponse. Avant de les rencontrer, il s’était cru définitivement perdu. Depuis sa fuite du Reksom, un curieux lacis de tunnels l’avait forcé à ne pouvoir jamais que descendre, si bien que la science recueillie auprès de Maulian ne lui avait été d’aucun secours. Malgré une minutieuse exploration de la zone, il n’avait pas découvert le moyen de regagner la voie ferrée, ni même une section de maintenance : dès qu’un tunnel s’était écarté, il débouchait sur une échelle. Cela lui sembla si absurde qu’il se persuada d’une énigme ou d’un défi à relever et recommença le même manège à trois reprises, longeant silencieusement l’anneau à la recherche de l’indice qui lui aurait échappé. Quatre tours complets l’amenèrent à la triste conclusion qu’il lui serait impossible de se fondre dans le décor de la Septième comme il l’avait prévu, et tout aussi irréalisable de tenter une remontée vers la Sixième – plan B pas tout à fait au point, notamment sur la façon de franchir la barrière de la Profondeur Blanche.
La panique grandissant, il accepta de devoir s’en remettre au hasard. C’était, jusqu’ici en tout cas, une hypothèse dont il pensait avoir été conscient. Il prévoyait de se fier à l’Œil, ce qui lui avait paru suffisant pour reléguer la question d’une complication au rang d’un stress inutile. En vérité, il n’était pas du tout préparé. Baltimore était peut-être un bon pisteur. Peut-être était-il bon à la course, avec ses super bottes. Sinon pourquoi l’avoir descendu lui et pas Jeen, ou même cette ordure d’Emmerick pour les surveiller ? Baltimore le Minier : aussi bête que les Frères, trop confiant, trop sûr de lui avec son projet minable de les garder enfermés tous les trois dans la Tombe jusqu’à ce qu’ils – l’identité des autres comploteurs lui était restée floue – trouvent le moment de le transférer dans un labo. Et l’emmurer en Sixième, ça, fallait pas y compter. M’da lui avait raconté suffisamment d’horreurs sur la Profondeur Carrelée. Lorsque la lame de sa mort, portée par l’Œil en pleine poitrine, enfoncée à travers son crâne dans une charge à peine supportable, l’avait traversé de part en part en imprimant à l’infini - après l’avoir étouffé en même temps qu’elle pendant deux vertigineuses minutes trente neuf - l’insoutenable image de sa strangulation, plus rien ne l’aurait arrêté.
Manyan, cela ne l’avait pas étonné. Mais Giro, il n’avait pas un instant douté qu’il le suivrait. Pourtant, il était resté à l’orée de la grotte dans laquelle la vieille baderne avait exigé du Minier à la cervelle molle qu’il les astreigne, une fois par Cycle, à recommencer à excaver - une tâche inutile, qui ne porterait jamais le moindre fruit. Il l’avait encouragé à plusieurs reprises, l’avait supplié même, avant de comprendre qu’il ne viendrait pas. Après, tout avait foiré.
Ses calculs concernant l’efficacité de l’Œil en cas de coup dur dépassèrent terriblement ses espérances : aiguillonné par la situation, Il ne lui laissa effectivement plus le moindre répit dès lors qu’il s’enhardit en dessous des fondations du cloître. Il s’était mis à bourdonner d’une drôle de façon au fur et à mesure qu’il s’était enfoncé, comme si le choc causé par la mort de M’da l’avait endommagé, frémissant bizarrement au point de faire mal de temps en temps, puis de plus en plus, jusqu’à finir par l’assaillir d’une douleur incroyablement incisive. Ses intestins lâchèrent en premier sous un effet de pompe terriblement agressif, et il se mit à laisser d’affreuses traces de son passage au gré de crampes immaîtrisables, avant de trembler de peur face à d’horribles geysers jaunâtres jaillissant de ses entrailles sans qu’il ne puisse les contenir. Sa détermination finit de voler en éclat quand, après deux Quarts passés à ne pouvoir quasiment plus que ramper, son crâne fut assailli d’une douleur dont la montée en puissance le terrifia : il n’eut d’autre choix que de s’effondrer à l’intérieur d’un tube qui accueillit sa déroute à l’issue d’une dernière marche réduite à des zigzags grimaçants.
Il y resta prostré à s’assoupir par à-coups, chaque retour de conscience accueillant le même supplice : l’Œil pulsait dans son crâne avec la férocité d’un dard, depuis la base de la nuque jusqu’à la tempe. Après un supplice d’une telle intensité qu’il peina à se convaincre de sa réalité, la douleur commença enfin à s’estomper : il haletait encore, hébété de la violence de l’épreuve, quand cela reprit. La torture se déploya ainsi le long d’un même mécanisme inflexible, refluant lentement sans jamais véritablement disparaître pour mieux renaître le Quart suivant. Il tapa des poings contre le sol, écrasa sa tempe contre une pierre, racla le sol des pieds. Hurla à l’attention de ses poursuivants, quels qu’ils soient, pour qu’ils le soulagent. Mais personne ne vint. Il crut mourir dix fois, sa tête menaçant d’imploser sous le mal. Et enfin, cela cessa complètement. Le corps réduit à un organe, recroquevillé comme une bête, il tournait prudemment la tête sur son axe ou déplaçait lentement une jambe, terrifié à l’idée que ne ressurgissent les signaux d’un nouveau déluge. Le fond du tube, accolé à une veine de loess, suintait. En guettant avec suffisamment de patience, il y pinça de micro-insectes attirés par l’humidité, trop peu pour éloigner la fièvre qui enrobait sa tête bouillante. Bien qu’incapable d’évaluer le temps qui s’était écoulé depuis sa fuite, très lentement, il se résolut à une méthode. Il lui fallut, pour ce faire, émerger de l’envie de tout abandonner et de se laisser mourir pour rejoindre sa mère, qu’il avait appelée en gémissant presque sans discontinuer durant toute la crise. Pas à pas, il accrocha l’une à la suite de l’autre de pâles lucioles de convalescence, agglomérant de petits éclats comme une cellule souche à fonction binaire. Lorsque le moment serait venu, lorsqu’il se déciderait à ramper en sens inverse, il reprendrait sa marche dans un ordre précis : il s’enfoncerait sur une distance définie et tenterait de trouver un moyen de quitter la zone par le tube suivant. En cas d’échec, il passerait au boyau d’après, et ainsi de suite. Dix à l’Est, dix à l’Ouest. Dès qu’il aurait retrouvé suffisamment de forces.
Elles l’avaient surpris dans son sommeil, à demi enfoncé dans une niche de la treizième conduite, la première bifurquant Nord-Ouest. Elles ne l’avaient pas tué, ni même molesté. Simplement, après l’avoir observé, elles l’avaient dépassé, puis laissé. Réveillé en sursaut par l’Œil - qui s’était mis à marteler l’intérieur de son visage avec la haine d’un tison -, il avait eu ce ridicule mouvement de recul en entendant leur voix résonner de loin, quelques secondes avant que la distance ne les avale définitivement. La faim l’avait rendu faible et la soif chétif. Il était trop seul pour que le courage ait encore un sens. Le manège avait duré quelques Quarts : il les suivait, et elles le laissaient les suivre. La petite avait des yeux d’un vert liquide et les cheveux roux nattés. La grande les portait longs, châtains et bouclés, et le dépassait presque d’une tête. Elle semblait plus douce. La dernière, dont la blondeur disparaissait derrière d’épais paquets de crasse, ne présenta à son goût aucun danger. Et puis leur rapide désintérêt, après l’avoir rendu perplexe - qui d’autre, ici, lui aurait laissé la vie sauve sans même le dépouiller de ses vêtements ? Qui d’autre que de pauvres créatures balançaient ce genre de regards éteints, vides de sens, derrière lesquels pointait une férocité aussi ridicule? -, avait fini de l’attirer. Il s’accrocha sans vraiment réfléchir.
Les deux autres lui obéissaient sans broncher. C’est elle qui partait à l’assaut des tubulures, sans la moindre hésitation. Sylvi. Elle haranguait ses sœurs sans relâche. La grande Elisabeth, qu’il trouvait calme et particulièrement jolie, lui semblait plus perspicace. Elle trouvait parfois de bons points d’eau, et quelques provisions. La coursive poursuivait sa route, tranchée par des annexes de petite taille dans lesquelles elles rentraient puis ressortaient comme des rongeurs. Souffe, la dernière, semblait en permanence perdue. Elle suivait ses deux sœurs avec une fixité animale et le reste du temps, grattait du bout des ongles des recoins de mur l’air absent jusqu’à ce que Sylvi la rabroue, ce qu’elle faisait. C’est pourtant elle qui laissait des bouts de nourriture à son attention, parfois encore un peu humides. Sylvi l’avait finalement invité à les rejoindre, avec un « Tu vas pas continuer à nous coller aux basques comme ça indéfiniment, comme si t’avais perdu ta mère ? Allez, ramène-toi l’Oiseau… » Elle l’avait baptisé comme ça. Il ne comprenait pas bien le sens de ce sobriquet mais de toute évidence, un louazo ne devait pas être quelque chose de terrible.
Avec elles, son Œil avait enfin cessé de le tourmenter. Ca comptait. Il taraudait encore son cervelet, mais rien de comparable avec cette perforation insupportable qui lui avait vrillé le crâne dans le tube. Leur existence se résumait à rechercher de l’eau, de la nourriture et des anfractuosités où se cacher pour dormir, et à s’éloigner scrupuleusement de tout bruit - perçu ou fantasmé. Ils tournaient en rond dans un périmètre, y auscultaient toutes les traces de passage – dessins de semelles, détritus, vêtements, objets, frottements, déplacements de poussière, franchissements d’éboulis – avant de s’enhardir, en fonction, en direction d’un autre conduit pour y recommencer le même manège. Un chemin sans destination dont il avait fini par se contenter de la même façon qu’elles, avec la même simplicité. Une vie faite de riens où l’on avait faim et où l’on traînait en se chamaillant, au fil de laquelle l’inquiétude, permanente, trouvait dans le vagabondage une façon d’être supportée. Et puis, il y avait Elizabeth. Certains courants d’air faisaient pointer de petits bouts mystérieux sous sa chemise. A force, un soir, ils s’étaient retrouvés : les deux autres dormaient et avec toutes les précautions possibles, dans des halètements retenus, ils s’étaient longuement caressés jusqu’à ce qu’il tache ses cuisses. Depuis, à quelques reprises, ils avaient recommencé. Ils s’enhardissaient. Nadun devenait plus entreprenant, et elle se laissait faire. Ses vaccins étaient quasiment tous périmés, et même de cela il avait fini par s’accommoder. Il s’était raisonné à l’idée de contracter un jour ou l’autre l’un de ces virus qui ravageaient les tunnels. Plus difficilement, à ne plus grimacer aux raclements de gorge des trois sœurs, à leur toux qui résonnait dans les coursives à des mètres de distances, dans la nuit permanente.

Le corps gisait sur le sol. Il guetta le signe d’une respiration mais aucun mouvement ne semblait soulever la poitrine difforme, enfoncée à plusieurs endroits jusqu’aux côtes. Impossible de dire avec certitude de qui il s’agissait. Il se convainquit, avec un peu de remords, de la survie de Sylvi : quand ils avaient fait demi-tour pour se précipiter à l’intérieur de la chausse-trappe, elle était déjà presque arrivée en haut du monticule : aucune raison qu’elle ait rebroussé chemin. Pour ça, il aurait fallu qu’elle emboîte le pas au type qui s’était lancé à leur poursuite, et ça, il n’était pas du tout sûr qu’elle s’y soit décidée.
La dépouille était méconnaissable. La tête se résumait à une bouillie de chairs parsemée de cheveux collés. Il expira un long souffle. Au-delà de son dégoût - bien réel -, il se surprit à ne pas éprouver de peine. Pas plus, à la réflexion, qu’il n’avait éprouvé de peur quand l’homme avait surgi de l’ouverture latérale : sans réfléchir, il avait suivi l’injonction de l’Œil lui commandant de bondir à l’intérieur de la trappe, dont il avait dévalé les marches en entendant les cris d’Elisabeth derrière lui, ce qui l’avait obligé à accélérer. En bas, quand la coursive – creusée à la main - l’avait obligé à tourner face au torrent d’eau noirâtre qui lui barrait la route à grands fracas de remous tourbillonnants, il s’était tenu immobile et avait attendu, explorant à tâtons la cachette qu’il s’était improvisée dans une saillie à hauteur de tête. Puis des sons horribles s’étaient succédés, des cris stridents, des bruits de coups et de courses, et il avait retenu sa respiration.  
Le boyau se scindait en deux couloirs séparés par une colonne naturelle. Au milieu, la dépouille barrait la route. Dans l’entrée côté Sud, il reconnut soudain la silhouette d’Elisabeth. Il y voyait mal mais imperceptiblement, elle lui adressa un signe de tête suivi d’un petit geste de la main. Il crut d’abord à une illusion, osa un pas de côté et la vit plus distinctement, cette fois-ci au milieu du couloir : elle lui tournait désormais le dos. Pourtant, il était sûr qu’elle l’avait vu. Il trouva son attitude étrange. Quand elle se tourna, du sang tapissait sa chemisette. Ce n’est qu’après qu’il distingua l’homme derrière elle qui la frappait furieusement, au bras, à l’épaule, puis au torse. Les coups n’étaient pas assénés avec assez de force pour la tuer mais chacun ouvrait une vilaine blessure. Elisabeth reculait en titubant mais le moine – c’en était bien un - avançait sur elle sans cesser de la battre. Bizarrement, elle ne criait pas : sa bouche était grande ouverte mais aucun son n’en sortait. Elle finit par se laisser tomber à genoux, puis bascula en arrière. Son assaillant s’acharnait maintenant sur le visage, portant des coups en diagonale. Sa tête était enfouie dans un long capuchon mais il l’entendait proférer : « Petite chienne ! Sale petite chienne ! ». Sans que rien ne puisse lui permettre de l’affirmer, il eut l’impression qu’il était vieux. Il le sentit vieux. Comme il n’avait plus éprouvé ce genre de fulgurances depuis bien longtemps, la sensation le surprit : son cœur battait à rompre mais son esprit restait parfaitement clair, comme distancié du déferlement de violence auquel il assistait dans l’ombre. Il recula à nouveau le bras tendu en arrière pour coller au mur et se blottit contre la paroi, le visage rivé en direction de l’embranchement au fond duquel se jouait le sort d’Elisabeth. Elle était certainement au sol : le vieux s’était courbé en avant sans bien que Nadun comprenne ce qu’il faisait.
Un grondement provenant de l’autre bifurcation, côté Est, émergea dans l’étrange silence qui régnait sur le carrefour. Le bruit des flots grondants à quelques pas à peine emplissait l’air tout entier, gommant les détails qui auraient permis d’identifier la nature du son. Quelque chose de guttural. Il recula encore, les yeux rivés vers le tunnel dans lequel le moine farfouillait, puis se concentra sur les bruits. Ca se rapprochait. Le roulis du cours d’eau s’entremêlait désormais à la cavalcade. Ses yeux balayèrent le décor : au fond, sur la gauche, derrière le corps inerte, le boyau dans lequel Elizabeth devait maintenant être morte. En face, l’ouverture de la coursive dans laquelle il s’était dissimulé l’instant d’avant, qui ramenait jusqu’au bas de l’escalier. A droite, l’autre boyau d’où quelque chose arrivait au pas de charge. Il réfléchissait vite, mais aucune issue ne s’offrait à lui. Finalement, il choisit de revenir vers l’embranchement : près du corps trituré, il lui avait semblé voir une sorte de tuyau. De ce côté-là de l’anfractuosité, on n’y voyait rien. Devant lui et derrière lui, tout semblait s’être soudainement tu. Il se décida à s’accroupir, et ramassa la barre d’un acier lourd qu’il jaugea d’un œil : d’un peu plus d’un mètre, son extrémité était courbe. Il ne pouvait s’agir que d’une sorte d’arme, gisant probablement là depuis longtemps vu la couche de poussière qui la recouvrait. Il serra les deux mains autour, puis se sentit ridicule. Elle était lourde, il n’aurait ni la force ni la dextérité nécessaires pour la manier. En se relevant dans l’obscurité, il perçut une odeur violente de pourriture. Le petit corps n’était qu’à quelques pas. Vu de ce côté-ci, il était encore différent. Alors qu’il le scrutait à la recherche d’un signe reconnaissable, une silhouette imposante se présenta dans l’embrasure du petit tunnel, bouchant le passage tout entier.
Il était obèse, plus de cent vingt kilos. Il portait une bure bizarre. Seul son dos, énorme, jouissait d’un peu de lumière. Le spectacle était effroyable. Et puis, il tenait une sorte d’outil aux mâchoires écartées. Et malgré l’ombre, il le repéra. Il se dirigea vers lui sans perdre un instant, la clef se balançant d’avant en arrière. Nadun recula instinctivement sans le quitter des yeux. L’Œil s’était fondu en lui comme un Tout, prenant possession de ses battements de cœur. Sa première idée fut de le prendre de vitesse en contournant le pilier mais il était déjà sur lui. Acculé, il se décida à porter le premier coup. La barre décrivit un arc de cercle poussif. L’autre leva sa clef pour parer l’attaque : les armes s’entrechoquèrent dans un bruit de métal, provoquant des vibrations si fortes que Nadun faillit lâcher prise. Pourtant, l’Œil lui fit instantanément plier un genou et attaquer plus bas, en visant les jambes. L’obèse détourna l’attaque tout aussi aisément et d’un mouvement étonnamment preste, lui arracha la barre des mains : elle vola en l’air, retomba lourdement sur les pavés, roula un peu puis s’immobilisa.
Nadun se retourna pour prendre la fuite. Avec un grognement affreux, le moine se jeta en avant et parvint à saisir une de ses oreilles. Nadun hurla de douleur. Le colosse le traîna immédiatement en direction du petit corps inerte, ignorant les coups de pied et de poing qu’il essayait de faire pleuvoir sur lui de façon désordonnée, qu’il accueillait comme s’il s’agissait de chiquenaudes. Nadun comprit qu’il allait être traîné vers celle des deux ouvertures dans laquelle avait eut lieu l’exécution d’Elisabeth : il se débattait en vain, tentant de ralentir la progression en s’accrochant des pieds des mains aux parois de la coursive mais il fut inexorablement ramené au centre de la caverne où d’une simple ruade, l’autre le poussa au sol avant de poser un pied au milieu de son dos. Le souffle coupé, il ne put qu’agiter inutilement les bras, allongé à quelques centimètres de la dépouille. L’Œil se détacha alors de lui et instantanément, la panique l’engloutit. Il se sentit obligé de venir à la rencontre du petit cadavre et pour ce faire, tordit le cou autant que possible. Un œil pendant hors de son orbite, Souffe le fixait, un peu absente comme à son habitude.




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(Cité-Laboratoire autonome de Dese - Sixième Profondeur)


La mort de Jean-Paul le choque plus qu’il ne l’aurait supposé mais ce n’est rien en comparaison de savoir Georges immobilisé à Ousse dans un si sale état : le fait que Léo ait ce bras à bousillé l’en réjouirait presque. Quant au récit –pourtant laconique - de son horrible périple depuis les collines du Svalbard jusqu’à Alta, durant lequel il a du porter Georges sur son dos en pleine tempête en se cachant d’assaillants à demi-malades, il y a prêté une oreille sardonique : inutile de compter sur lui pour s’apitoyer sur le sort de Léonard quand il était question de la dépouille de Jean-Paul détrempée, abandonnée au gel dans un véhicule à moitié carbonisé couché sur le flanc.
« J’entraîne le rat à reconnaître l’odeur de Nadun. Là-bas. C’est pour ça que je t’y ai amené. J’ai pensé que ça t’intéresserait.
- Ah. » Il se retrouve décontenancé, maintenant que le prénom de l’enfant vient d’être prononcé. Anmuroy le regarde bizarrement, puis l’invite d’un geste.
« Une douche ?
- Pas vraiment. Une sorte d’IRM. Nous allons pénétrer la zone de production.
- Et alors. Il a besoin que les choses soient claires. Les devinettes l’épuisent.
- C’est un monde différent, fait Anmuroy en hochant la tête. Mais c’est encore fragile. Il faut toujours prendre quelques précautions. 
Ils franchissent le couloir jusqu’à la porte du fond, un unique battant cette fois.
- Si on a laissé les rats de l’autre côté et qu’on ne va toujours pas en direction des zones d’habitat, qu’est-ce qu’on va foutre par là maintenant ? Léo, s’il te plaît, trouvons un endroit tranquille pour parler : on poursuivra cette passionnante visite plus tard, d’accord ? 
- Voilà, annonça Anmuroy. Nous y sommes. » Ils débouchent dans un espace généreusement baigné de lumière, où l’air se présente à peine froid. Ixens laisse légèrement tomber sa mâchoire. De grands végétaux qu’il ne parvient pas à identifier ont solidement été plantés tout autour du périmètre, poussant jusqu’à masquer les parois en supprimant toute notion d’horizon. « Voilà un Vivarium. ».
Le sol, quand il se découvre, est d’un terreau épais et noir, parfois mangé par de la mousse. Il croit apercevoir une sorte de mare tachetée de feuilles vertes. Des bancs de métal constituent les seuls objets visibles. Absorbé par le spectacle, Balt ne réalise qu’à cet instant les autres éléments qui donnent à ce « vivarium » son atmosphère si particulière : des insectes volètent bruyamment, des sons rauques sourdent et des choses basses se faufilent entre les feuillages.
Descendus à la rencontre du jardin – car s’est bien de cela qu’il s’agit -, ils marchent en silence. Quelques rares silhouettes vêtues de combinaisons s’évanouissent discrètement à leur approche. Au bout d’un moment, ils gagnent un banc isolé, au beau milieu d’une vomissure de feuilles à l’aspect menaçant.
« Tu as de la chance, nous sommes en plein programme d’été, dit Anmuroy d’une voix d’où perce la satisfaction. Ici, je pense que nous serons au mieux pour écouter ce que tu as à me dire. 
Le regard du Minier glisse de la marée végétale pour venir se loger dans les pupilles de l’asiatique :
- Bordel, mais à quel putain de jeu es-tu en train de jouer, Léo ? Qu’est-ce que c’est que ce truc. »
La situation s’est considérablement embrouillée. Il regrette d’avoir cédé à la précipitation : il aurait dû trouver où était Georges avant de s’aventurer jusqu’ici. Impénétrable, son voisin de banc savoure cette victoire dont il sait déjà, depuis qu’il a accueilli son visiteur en personne, qu’elle lui est acquise. Il suit avec satisfaction la surprise de Balt laisser place à un combat intérieur au cœur duquel le motif de sa venue rétrécit.
«  Tout est…
- Bien réel. Vivant, si tu préfères.
Ixens réalise lentement le ridicule dont il vient de se couvrir en faisant étalage de ce mépris dont Preutt fait lui-même preuve à l’encontre de la majorité de ses semblables et qu’il a fini par emprunter malgré lui, plus ou moins par mimétisme. Il a été surpris, dès la scène à laquelle Léo l’a forcé à assister dans le laboratoire, de l’apparente désinvolture avec laquelle les Cités Blanches ont repris leurs expérimentations en violant ostensiblement les conventions trialiennes : si ça n’avait pas vraiment suffi à entamer la confiance qu’il avait dans la supériorité des Mines, la découverte de cette « biosphère » s’en charge graduellement.
« J’ai cherché à vous le faire comprendre. A chacun d’entre vous, séparément. Mais aucun ne m’a écouté, à part Maulian peut-être…
- Je doute que tu aies créé ça – il désigna l’étendue verdâtre qui s’étendait à leurs pieds – durant le dernier Grand Cycle, si ? Tu t’es pourtant bien gardé de nous informer, Georges et moi, de ces –il chercha le mot adéquat- choses. A quoi bon le faire maintenant ?
- A quoi aurait servi de te montrer tout ça avant ? Tu étais très préoccupé par le fait de rater le Conseil. Vous auriez fait machine arrière. Vous auriez tenté d’agir seuls, et vous auriez fait une erreur.
- Sans les Mines tu ne serais rien Léo. - Il se fait soudainement plus dur – Georges te fera t’en souvenir.
- Oh, même de là où il est, couvert de plâtres et de bandages, Georges ne cesse de me le rappeler, crois-moi. Ce flot de matériel sous lequel il m’étouffe pour mieux me tenir, il ne cesse d’augmenter mais tu te doutais bien que nous ne faisions pas que regarder des bouts d’algues mortes dans nos microscopes, n’est-ce pas ? Combien de vos espions se terrent actuellement dans mes couloirs, hein ? Quels architectes Georges emploie-t-il à percer à jour les mécanismes d’ouverture, de fermeture et d’étanchéité de mes labos ? Une de mes équipes travaille peut-être même sous vos ordres en ce moment-même, à Raue, à la réactivation des sols de Surface, ou quelque chose d’approchant. Tu vois, il n’est pas question de mystères mais plutôt d’un jeu. Un jeu d’équilibre auquel nous jouons tous, et pour lequel il est nécessaire de garder quelques atouts. Celui-ci en est un – il balaie l’horizon de la main.
La plupart de leurs sujets de discorde sont restés les mêmes. De vieilles querelles vides. Ne lui semblent-elles pas un peu étroites face à son jardin ? A-t-il vu qu’il y avait des animaux ? Des fruits - même s’ils restent immangeables ? 
« Les choses ne se sont pas arrangées pour autant, crois moi… Ce disant, Ixens repense brièvement à la Tombe du Reksom et souffle involontairement entre ses dents, comme si expirer suffisamment longtemps pourrait suffire à le débarrasser de cette sensation oppressante de ne pas être au bon endroit. Le fait est que cela marche un peu. Sans l’image du cadavre de Jean-Paul revenant systématiquement dans sa tête –et pourquoi de dos, sans qu’il ne puisse voir son visage ? – ça pourrait presque marcher.
Léo mesure le fossé qui les sépare. La fatigue empêche souvent d’apprécier les choses à leur juste valeur mais cet aplomb narcissique qui lui sied si mal, ce dédain mal fagoté, Balt les lui sert comme une vulgaire copie de Georges. Le rôle qu’il vient de tenir à Inari l’a fourvoyé une fois de plus : le rouage se prend pour le levier.
« Je suis au courant, Balt. (La méthode qu’a employée Antoñ avec lui a été redoutablement efficace. Suffisamment cuisante pour qu’il se rappelle parfaitement de la marche à suivre)  
- Au courant de quoi ?
- Inari.
- N’aie pas trop confiance en toi Léo : des tas de choses étonnantes se passent aussi en dehors de ta Profondeur. Je t’ai ramené tout ce que j’ai pu observer au sujet du petit, le temps qu’il a daigné rester en ma compagnie. Quelques trucs sur les deux autres aussi, quoi que je n’aie pas dépensé une énergie folle à m’intéresser à eux. Ces gosses n’y connaissent rien en géologie, en tout cas. De vrais ignares. » Léo le regarde se gratter l’avant bras. « J’ai tout fait pour que ça marche. Ils l’ont coincé dans une de ces Tombes, tu te rappelles ? Les Reksom ? J’ai passé des Cycles entiers avec lui et les deux autres dans un de ces trucs. Sûr qu’après ça, me retrouver ici et que tu trouves ça drôle, ou même normal, excuse moi : je viens de pourrir dans une cave monastique avec trois dégénérés de moins de treize ans, on dirait que t’as du mal à saisir. T’es là dans ton – comment t’appelles ça déjà : ah oui, ton « vivarium », et nous pendant ce temps, on t’attend dans des grottes putrides, dans le noir, comme l’un des rats que tu tripotes.
- Allons Baltimore, pas de ça avec moi. Vos grottes ressemblent davantage à un essaim de grands palais souterrains où l’air tout autant que la lumière circulent, où la faim et la soif n’existent pas et où, au regard de ce qui vous attend probablement là-haut, il fait diablement bon vivre… 
- Tu dois confondre, Léo. Je viens de te le dire,  j’ai passé le dernier Grand Cycle dans une Tombe. Garde ce genre de remarques pour Emmerick : c’est chez lui qu’on trouve les palais et les lustres.
- Maverick ? Il vit dans une cellule !
- Ce con devrait être enfermé avec son Mur derrière une de tes portes vitrées : il pourrait philosopher à loisir, penser, prier ou faire je ne sais pas quoi d’inutile sans qu’on ne soit plus obligés de supporter sa, sa…
- Reconnais au moins qu’Emmerick n’a pas le défaut de vouloir régner, ce qui devrait en faire un écueil de moins à vos projets…
- Il laisse peut-être le règne à Panthéa, mais le gosse, ça, il te le laissera pas si facilement.
- Bah, ils l’ont déjà perdu. C’est bien ce que tu es venu me dire, hein ?
Le Minier épuisé le regarde :
- Il n’est pas revenu. Ils l’ont envoyé à la Corvée une fois de trop, qu’est-ce que je pouvais y faire ? Avant ça, il a fait une sorte de crise, un truc pas beau à voir. Une sorte d’hallucination. Il parlait de sa mère je crois, ou d’une pendue, j’ai pas bien compris.
- Une pendue ?
- Il s’est étouffé en tout cas. Comme ça, sans raison. J’ai cru que ça allait mal tourner. Je ne sais pas s’il pourra s’en sortir. Il n’y connaît pas grand-chose en matière de roche ni de minéraux, voilà tout ce que je peux dire. Il a son truc. Il ne parle pas beaucoup. De mon point de vue il n’ira pas très loin. En tout cas, Emmerick va envoyer tout ce qu’il a sous la main pour le récupérer. Il est déjà parti d’Inari. Mais tu savais ça aussi je suppose, que Panthéa l’avait envoyé là-bas ? » Balt pense cette fois plus posément à l’information que le Médecin-Chef des Cités Blanches lui a révélée au sujet du rat. Il n’a jamais aimé les intellectuels.
- Emmerick est à Panthéa ce que tu es à Georges, Balt : un allié précieux, qui sait modérer les ardeurs et subir les courroux…
- Arrête cette leçon de self-control que tu es en train de me donner Léo. Si tu veux m’impressionner, balance tout : tu comptes récupérer Nadun comme tu t’y étais engagé, ou tu vas le laisser filer dans les bras des Scissionnistes ? Tu crois qu’on est dupes ? Un rat. Tu veux lui envoyer un rat aux trousses ! Dans toutes les Profondeurs. Ton bestiau ne fera pas deux mètres avant d’être bouffé !
- Peu d’hommes peuvent descendre si bas sans éveiller les soupçons, et moins encore sont assez expérimentés pour y agir avec utilité. Tu dois bien le savoir, toi qui as dû personnellement te compromettre pour convaincre le vieil Estheb de prendre les choses en main. Je veux le gamin, Balt. Sois-en sûr. Je ne suis juste pas certain d’arriver à le récupérer, c’est tout.
- Pourquoi me montrer tout ça, alors ? On s’en fout pas mal de savoir comment tu comptes t’y prendre après tout.
- Tu es venu.
La réponse déconcerte le Minier. Il déteste ce jardin, son odeur, la température qui y règne. 
- Suis-je le dernier à découvrir tout ça ? A nouveau, il n’obtient pas de réponse. Remarque, peut-être que d’autres surprises m’attendent encore. Des choses que tu t’es probablement bien gardé de dire avant que Georges ne m’envoie dans ce guêpier, là-bas, chez les tarés, hein ? » D’un mouvement furieux, il se lève et lance un grand coup de pied dans un haut buisson de couleur indéterminée dont quelques feuilles se détachent en voletant. Anmuroy ne bronche pas, bien que ses yeux suivent avec tristesse les lambeaux retombant délicatement sur le sol.
« Moi qui croyais qu’on pouvait compter sur toi. Tu nous as bien baisés.
- Tu veux dire compter sur ma trahison, ou sur mon silence ? Sans ce gosse, tu ne te soucierais pas davantage de mon sort ni de ce que je fais des matériaux que vos équipes techniques m’abandonnent… Quand au complot dont vous seriez victimes, tu sais aussi bien que moi qu’aucun pouvoir ne s’exerce sans quelques rencontres plus ou moins formelles. Ca permet simplement de maintenir la cohésion dans ce que l’on fait tous, les uns aux côtés des autres… Ta visite, à peine quelques quarts après ce Conseil auquel tu n’es pas venu, en est une preuve, n’est-ce pas ? Il serait grossier de dire que tu es venu comploter contre Panthéa… Il serait plus raisonnable, je suppose, de déduire que tu cherches, au contraire, à maintenir coûte que coûte un équilibre. N’est-ce pas ce que tu es venu faire, Balt ? »
 Le dos tourné, les mains dans les poches, Ixens se contente d’un haussement d’épaule. Une envie méchante d’arracher à mains nues tout le fatras d’arbustes puants qui les entoure flotte dans la tête. « Le Conseil, si elle l’a réactivé, c’est justement pour ça. Tu n’étais pas là mais Panthéa voulait qu’on se préserve d’un ultime dérapage dans notre façon de gouverner ; de toute tentation que nous aurions, les uns ou les autres, de revenir à la force individuelle.
- Elle vous tient tous ! La seule pensée que les habitants des Profondeurs échappent à sa putain de Règle lui est insupportable. Mais quoi qu’il en soit, elle a pas été foutue de juguler l’exode, avec toutes ses lois à la con…
- Cette Règle, nous l’avons érigée ensemble Balt. 
- Cette Règle est morte Léo. La Ligne est truffée de Scissionnistes et je suis sûr que même Panthy ne croit plus à une foutue ligne de ce charabia !
- Nombreux sont ceux qui y croient encore, détrompe-toi.
- Léo, tu ne vas tout de même pas me faire croire que tu…
- Non non, je n’irai pas jusque là. Mais il y a certaines valeurs que je ne renie pas.
- Ouais, ça ne m’étonne qu’à moitié. Tu peux même franchement dire que c’est de la Règle d’Alphan dont tu veux parler, va… Pour ce que j’en ai à foutre, après tout. Tu sais quoi, rien ne te permet de dire qu’une Remontée n’est pas possible. Pas même ça. » Balt prononce ces mots sans conviction en désignant du menton les espèces vaguement inquiétantes qui les entourent, une autre idée en tête. Il tourne le dos à son interlocuteur, absorbé par l’éclair qui vient de traverser son esprit.
« Tu comptes sur lui…
- Pardon ?
- Nadun. Tu comptes sur lui pour foutre la merde ! Tu comptes te terrer bien tranquillement et attendre qu’il nous pousse à nous entretuer pour faire pousser tranquillement tous ces machins partout ou tu pourras. »
Sortant de son impassibilité, Anmuroy éclate d’un rire bref :
« Nadun ? Si il y a bien quelque chose à quoi je ne m’attendais pas, c’est que toi, tu finisses par admettre avoir peur du porteur d’Œil !
- Merde Léo, je viens de passer des Quarts entiers enfermé avec ce gosse : personne ne sait rien de ce dont est capable ce putain de mutant… Qu’est-ce que tu crois : que la violence de son père, ou la démence de son porc de grand-père, ne m’ont laissé aucun souvenir ?  Réveille-toi Léo ! A quoi rêves-tu ? A tes putains de plantes ? »
Il revient s’asseoir. Un bref silence survient, dans lequel un croassement résonne de façon incongrue. Il étend ses jambes en croisant les pieds, les deux mains en appui sur le bord du banc, concentré sur une feuille minuscule qui vient de choir sur la poche de sa veste.
« Arrêtons avec le gosse, Léo. Si Georges décide d’attaquer le Temple, de quel côté seras-tu ?
- Enfin. Tu en auras mis du temps pour me poser cette question toute simple. Georges ne s’est pas embarrassé d’autant de précautions.
- J’ai besoin de savoir.
- Panthy aussi a besoin de savoir. Emmerick. Maulian. Beaucoup d’autres. Nous savons probablement tous quelque chose que les autres voudraient bien connaître, je suppose. » Cette fois-ci, c’est lui qui se lève. Il enfouit les mains dans les longues poches de son pantalon et commence à faire quelques pas en direction de la voûte de feuilles qui dissimule le banc à la vue de la passerelle.
« J’ai toujours détesté l’idée de la guerre. Il ignore la grimace de Balt et poursuit : Je conçois les choses différemment. Si l’on considère que nous atteignons à nouveau un état où il se produit plus d’individus qu’il n’en faut pour survivre, cela génère un combat pour l’existence. Voilà tout. Ce n’est, en substance, que de ça dont il s’agit. Pas de pouvoir. »
Quand il se retourne, le banc est vide. Du haut de la passerelle, la voix de Balt, chargée d’une menace aigre, résonne dans le calme végétal :
« Quand ça va chier, faudra bien que tu réagisses : tes plantes te serviront à rien ! Tu ferais mieux de retrouver le gamin, Léo ! Et vite !... »
Son pas coléreux résonne dans le couloir et le vivarium bruisse pendant quelques secondes de son éclat de voix. Léonard reste debout, comme amusé. Balt ressurgit sur la passerelle en sens inverse, écumant de rage.
« Je vais te faire ouvrir un accès, Balt. Quelqu’un t’expliquera comment rejoindre Ousse. C’est bien là que tu vas, non ? Voir Georges ?
- Va te faire foutre, Léo. » Le scientifique ignore le majeur levé à son attention, et la grimace qui va avec.

Un tressaillement agite le gros rideau de lianes qui masque à la vue les parois chauffantes et Panthéa fait son apparition, bataillant après un filament refusant de la libérer.
« Il ne plaisante pas, hein ?
- Ha ça non… La Mère finit par rejeter la liane récalcitrante derrière son épaule puis cambre lentement ses reins en avant, les deux mains sur les hanches : Pauvre Balt. Georges va l’envoyer à Ost pour convaincre les hommes de Jean-Paul de lever la troupe. Il ne lui laissera pas plus d’un Quart de répit. Comment va-t-il, au fait ?
- Du mieux qu’on peut dans sa situation. Il pense encore qu’il va retrouver ses jambes. Je crois que l’idée d’avoir à rester en fauteuil lui est insurmontable.
- Et ?
- Et il s’en est mieux tiré que Jean-Paul. C’est ce que je lui répète.
- Je vois. (Après un silence) Ca ne l’empêchera pas. Ca risque même d’être pire : ça doit le rendre agressif d’être coincé chez toi. » Et à l’exacte verticale de la jonction avec la Huitième, pense Léonard pour lui-même. S’il savait. 
- Et le gosse ? »
Lit-elle dans les pensées, elle aussi ?
« Oh, le gosse… Je crois qu’ils nous le laissent, non ?
- Il est en bas ? Je veux dire, chez les Frondes ? Tu me le dirais, n’est-ce pas ?
- Honnêtement, je n’en sais rien. - Elle ne le croira pas, de toute façon.
- Tout est donc fini…
- Fini ? Tu veux dire que ça commence à peine. »
Il la regarde au milieu des feuillages, ravissante dans sa petite combinaison bleue à demi transparente. L’idée de Balt flotte dans son crâne, évanescente. Il pourrait réessayer. Avec une fillette, cette fois. La laisser grandir ici, au milieu des fleurs. Lui faire goûter des fruits – il réussira à ce qu’on puisse en manger, ce n’est qu’une question de temps. Elle finirait aussi belle qu’elle, et avec le bon gène cette fois. Au milieu des papillons.

Il lui sourit. 



















FIN DU PREMIER VOLUME


A paraître en 2020 : Le Quatrième H - Tome II : "Le Silence de l'Oeil"  

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