Le 4ème H (Tome 1) - "La Règle Primitive" - Post 11
L’Avent des Neuf
(Neuvième Ecrit )
Elle et Pyo sont déjà
harnachés que Jean-Paul argumente toujours sur l’irrationalité de cette
expédition. « Le retour de la Moniale »,
tu parles d’une connerie dit-il. Elle s’en fout, elle descend déjà dans le
boyau suivie de Pyo. Ils sont peut-être exactement là où on les a laissés après
tout. Pourquoi pas. Et puis, Pyo a beau être sacrément rapide, si ils retombent
sur un groupe de gars – d’autant plus si Alphan est avec eux -, ça suffira
peut-être pas. Quant à parier que la Colonne nous attend comme des messies,
faut voir. Le moustachu n’a pas tout à fait tort. Il y avait de nombreux
compagnons de Georges et de Balt parmi les fuyards descendus sous Blell, mais
plutôt très peu de Sikilê. Elle a rétorqué qu’elle pourrait fédérer certains
des Khal, « même sans lui ». Ca a tourné court et ils viennent bel et
bien de nous laisser comme des charges inutiles. N’y
tenant plus, nous partons à notre tour le cent-neuvième Quart sans presque une
parole.
A l’autre bout du tunnel,
en file indienne, nous stoppons face à la porte d’Iasal l’esprit haineux et les
yeux jaunes. Couverts de boue et de terre. Georges tambourine sur le
montant avec une colère démesurée jusqu’à ce que le venteau finisse par pivoter
sur ses gonds. Derrière, Panthéa, face à nous en contre-jour, déplace un foulard
sale qu’il a perdu dans son accès de rage du bout d’un pied chaussé de bottes
neuves. Le hall est vide. Une odeur flotte, déroutante. Nous dévorons des galettes
au goût de sel déposés pour nous au milieu de la pièce sans le moindre amour-propre,
arrachant les emballages avec les dents. Le bruit de notre mastication est si
grossier que je détourne mon regard jusqu’à ce que ma part soit ingurgitée.Pyo
est impeccablement rasé. Je nous trouve affreusement sales. Léonard aussi est
presque glabre, mais il est dégoûtant. Hört-Henri, je ne peux plus le regarder.
Elle ses phrases sont
courtes, lui, les nouvelles qu’il donne simples. Mais ces yeux cillent trop,
ces phrases sont trop courtes et ces nouvelles trop simples. Ils sont tous les
deux propres, et apaisés. De premiers petits cheveux ont repoussés sur le crâne
de Panthéa. Ca lui fait une sorte de casque très ajusté, un peu austère. Rien
ne satisfait personne. Je veux dire, les sept autres. Comment ont-ils réussi à
retrouver le chemin de Leiad si vite, puis atteindre Oooye avant l’Eléphant ? Comment autant d’hommes qu’ils le disent y
sont restés, et pourquoi ceux-là auraient-ils accepté de s’en remettre à elle, la
meneuse déchue? Et pourquoi les Khal restés à la tête de la Colonne les auraient-ils
laissés faire et bon sang, où s’est-elle procuré ces bottes dont le cliquetis
la ferait repérer à des mètres à la ronde… Mais leurs explications sont
logiques.
Nous n’avons quitté Blell que
depuis moins de trois cents jours. La Troisième n’a été franchie que sur
quelques kilomètres. Les Khal ont tous quitté Leiad, abandonnant la Colonne il
y a onze jours de cela, d’après les autres. Et une soute de vivres a été
trouvée. A bien y regarder, de lourdes poches cernent leurs yeux. Pyo, contrairement
à Panthéa, ne cherche pas à fournir d’explications. Il se contente de nous dévisager.
Un pansement discret orne le haut de son crâne, là où l’un des Moines lui a
flanqué ce coup. Le fait que nous n’ayons pas d’Ambre à brûler me contrarie.
J’ai l’esprit clos, au point d’appréhender devoir sortir d’ici : Iasal est
l’endroit le plus éloigné de la Fosse que je puisse supporter. D’ailleurs, ces
Moines que l’on a croisés en Troisième, ceux qui connaissaient Celio, en
ont-ils vus d’autres ? Je m’apprête à poser la question quand deux
silhouettes encapuchonnées surgissent du couloir annexe, le 2B. Léonard sursaute
et Georges, après avoir porté sa main devant ses yeux, penche le buste en avant
quelque chose de lourd dans la main. Il ne se passe rien. Ils attendent, dans
le silence, que nous ayons fini de les fixer comme des bêtes. Je sais que nos
visages sont hideux. A y repenser, je les trouve plutôt courageux.
De premiers hommes comme
ceux-là les ont donc déjà rejoints jusqu’ici. Facilement, par une échelle. Notre
anxiété contraste d’avec la désinvolture de Panthéa et de Pyo, qui vont jusqu’à
leur parler. Les sous-sols comptent autant d’ordres monacaux que de coursives :
il est probable que ceux-là n’aient rien à voir avec le Vasd Neut mais rien n’y
fait. Sikilê ou quoi que ce soit d’autres, ce sont des étrangers. Chez nous. Au
bout de notre tunnel.
L’huis-clos aulionnien vient
d’être rompu.
Léonard a disparu au fond
de l’enfilade, dans la petite salle de commande. Je me mets aussitôt à le
soupçonner de quelque chose avant de le jalouser d’avoir saisi l’opportunité d’échapper
à l’étrange manège qui débute. Je ne me rappelle pas de tout. Seulement que d’autres
hommes descendent dans Iasal par petits groupes silencieux, toujours armés de
ce même sac de palets durs et acérés, hésitant à fouler ce premier sol Aventien
de Quatrième. Jean-Paul reste à guetter la tubulaire depuis la pré-soute où
patiemment, nous soudons avec d’exécrables chalumeaux à gaz les minuscules
circuits des encarta-puces. Je me rappelle juste avoir peur, comme lui. Au lieu
d’être empruntée, la Troisième continuera d’être suivie par en dessous, puis ponctuellement traversée selon un itinéraire
précis le long duquel vingt grandes poches d’Enfouis du deuxième étage seront atteintes,
puis prises d’assaut au moyen d’une arme, une arme qui tient Léonard à l’écart
de nous. Une arme dont il a garanti l’efficacité. Une sorte de canon
acoustique. Est-ce cela qui doit remplacer l’Adventus ? Un canon à
bruit ?
Elle nous a tout expliqué,
méticuleusement. Chaque colonie soumise, en échange d’une allégeance prononcée
à «Avent », pourra obtenir l’un de ces vingt encartas que nous sommes en
train de fabriquer (d’après Hymett, ils vont fonctionner). L’idée d’un Terminal
dont nous serions maîtres, fonctionnant à partir du combustible stocké à Sephta,
est toujours le centre du projet. C’est déjà ça. Quand tous ces « protectorats »
seront établis d’Est en Ouest, « nous » mènerons ce raid final sur le
BCM et attribuerons une pile atomique à chaque « comptoir aventien »,
via l’encarta. C’est la verticalité qui empêchera que ce plan ne s’approche
trop dangereusement de celui de Celio. Le principe de la Cité-Puits et de sa
Cheminée Centrale : un conduit autonome de grande circonférence, capable
de s’étanchéïser en cas de besoin. Hymett noircit des tablettes de chiffres et
de calcul que je finis par considérer comme d’immondes incantations maléfiques.
Panthéa multiplie les sorties. Chacun de ses allers-retours la fait revenir avec
plus de gens, toujours. A moins que ce ne soient les mêmes. Pour finir, la trappe
isolant Iasal de l’extérieur est laissée grande ouverte parce qu’on étouffe. Nous
sommes ouverts sur la Troisième, comme une fenêtre sur une bombe.
Je guette Jean-Paul tout en
soudant d’une main tremblotante mes minuscules circuits électroniques. Je sens
que je me transforme malgré moi, avec la sensation déroutante qu’une fois le
moment venu - mais quel moment exactement ? – je je resterai comme ça,
indéfini, pour toujours. Je pense à partir le plus loin possible d’ici. Rejoindre
la Citerne des Verick, pourquoi pas. Remonter, même. Dehors. Des fois j’essaie
d’estimer la distance. Ou rester ici à tout jamais. A Iasal. Attendre qu’ils
partent tous, et refermer le sas d’échelle. Je cherche quelque part où aller
dans mes souvenirs. Je mange à ma faim. L’eau n’est pas comptée. Je me remets
lentement à puer. De la salle où s’est réfugié Léonard, on entend ronronner des
tuyères par à-coups. L’odeur du gaz flotte.
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