Le 4ème H (Tome 1) - "La Règle Primitive" - Post 8
D’Ahaesk à Aulis
(Sixième Ecrit)
Nous atteindrons les
fondations d’Iasal, exactement comme le petit bout de papier d’Hört-Henri le
prédisait. Hâves et durs comme le fer, après avoir défoncé à la pioche une réjouissante
épaisseur de béton manufacturé. Le tunnel n’est plus une galerie aveugle :
c’est une coursive. La première section de Quatrième Profondeur. « La
Voie ». Cette fois, nous sommes enfermés en-dessous de la Troisième mais cela
n’a plus la même incidence : nous ne sommes plus ces hommes perdus échappant à la
menace, nous sommes onze foreurs fanatiques, nourris, cassants comme du
diamant. Franchir le sas qui nous sépare de la Troisième n’est qu’une question
de temps.
En premier lieu, nous
parvenons à une étanchéité relative dans la salle des pupitres de commande des
excavatrices. Dans celle qui la jouxte, Léonard installe plusieurs ustensiles
en s’attelant, avec Hymett, à l’étude des étranges machineries que Balt a identifiées
comme dédiées à l’hydrofracturation. Nous surplombons probablement une poche de
schiste. Dans la plus petite des salles, Jean-Paul et Pyo improvisent une douche.
Le piège d’Alphan se referme prodigieusement vite : nous nous visualisons déjà
un territoire le long de nos incessants trajets de l’un à l’autre de nos abris,
dans la coursive coupante au fond de laquelle nous rampons les mains boursoufflées,
les pouces des pieds bardés de corne et de cals. Au milieu de la percée,
Voolda, petite soute d’écluse reliée au lac Sokov, nous permet de faire halte
et de constituer des réserves d’eau. Notre retour des enfers se forge dans la
reptation, sous la compression de nos colonnes vertébrales. Nous rejoignons un
tout animal, une sorte de psyché utérine. « …nous
pourrions être à l’aube d’une nouvelle ère parce que le temps est rond :
tandis que nous avançons, notre passé nous attend devant nous. ».
Cela n’a plus rien d’un baroud
pour repousser la mort. Et ce n’est pas un Culte qui théorise d’impossibles
espoirs, c’est beaucoup plus beau que ça. Nous sommes beaucoup plus beaux. Je
jalousais Léonard et Panthéa, je suis désormais fier de les voir se jouer de
l’Ambre avec tant de dextérité. J’évolue aux côtés de camarades, je me sens
exceptionnel. Et comme je le suis, je trouve du papier. Enfin, des sacs
d’emballage. Du coup je note tout. Je rédige toutes ces choses qui émergent de mon
esprit avec la grâce de la fumée, et tout ce qu’ils disent. Nous allons sortir,
bientôt.
Léonard nous ausculte
scrupuleusement, chacun notre tour. Il nous prélève des échantillons de peau,
de cheveux, d’urine et de sang. A vrai dire, plus rien ne nous oblige à l’épouvantable
austérité de la Fosse mais là-bas, il y a le Cuhc. Peu importe que l’éboulement
nous guette tout au long de la galerie, nous ne prenons la résine que là-bas.
Nous savons aussi maintenant qu’Ahaesk pue. En l’absence d’air, nos excréments
l’ont imprégnée d’une telle odeur que nous sommes pris à la gorge des mètres
avant de la rejoindre, quand nous arrivons de Voolda où l’air et l’eau circulent.
Maulian est devenu
lointain. Je le comprends. Je pourrai moi aussi la baiser comme ça pendant des
heures et ne plus me préoccuper de rien. Moi, Hört-Henri m’horripile. Je sens
aussi que Balt a envie de m’étrangler, et qu’Hymett agace prodigieusement
Jean-Paul dès qu’elle donne son avis, ce qu’elle fait souvent. Mais là-bas nous
plongeons dans l’Ambre ensembles.
Alphan réussit à ce que nous nous sentions unis et admirables dans l’odeur de
la merde. A ce que nous y fustigions « l’étendue du marasme des cultes
d’enfouissement » au milieu de nos propres souillures. Personne n’y a
fait véritablement attention mais il ne parle quasiment plus.
J’ai tout rédigé. Pour
chaque acte, une consigne. Pour chaque décision une certitude, pour chaque hésitation,
une voie à suivre. Une règle de conduite. Alphan est mon père, Maulian mon
frère. Ici sont mes frères. Ici est ma pute. Ses orgasmes silencieux, sa
jouissance quand elle plisse les yeux et que les bouts de ses seins
tressaillent, cartouches de chair brunes dardant au dessus de la colonne
d’Ambre luisante. Je l’écris pour elle. Je l’écris pour la faire jouir. Je
l’écris pour que nous puissions tous faire jouir Panthéa Sikilê. La Règle que
j’ai compilée pour nous tous, et qui nous relie à Alphan comme un cordon
ombilical. Elle est parfaite. Pour parachever ce travail il manque juste un nom :
ce sera le point d’orgue de l’humiliation que nous fera subir le vieux Khal,
après avoir volontairement rallongé le périple à l’envi pour obtenir de nous
cet asservissement collectif.
Oui nous exulterons,
littéralement, du cheminement lexical le long duquel il nous mènera une dernière
fois, gavés d’Ambre, au milieu de nos vapeurs de fèces.
« Cette idée, notre
Idée, ainsi que l’ensemble de nos convictions, ça vient des sens : ta
Règle, Emmerick, est le supplémentaire qui colonise, comme un accident, le
territoire étranger des esprits sans ne succéder directement à rien : mes
amis, cette Règle a pris position au cœur même du processus de ramification de
notre âme, et vous savez quoi ? C’est là la définition exacte d’un
adventicius » nous explique-t-il. « La contamination
accidentelle ». Alphan est incroyable. Jamais je n’ai tant aimé les mots.
Cette définition illumine mon écrit multi-raturé tandis que nous en sommes
réduits à passer, aveugles et fous, tour à tour d’un chenil de fer souillé à
une ratière bétonnée. Ma Règle est un Adventicius. Je me le répète sans
interruption, même à voix haute. Adventicius, adventicius. Même Balt, Georges
et Pyo sont heureux. Hymett et Hört-Henri sourient, Alphan a des yeux de chat. Ce
nom, pour finir, il nous le propose comme surpris lui-même de sa découverte. Ignoblement
ingénu. Voilà comment nous lui devons l’ADVENTUS, l’anagramme maudit[1]…
Avec lui notre conglomérat néo-religieux prend nom et naissance lors du vingt-neuvième
Cmeop, Septième Service. Ahaesk, en
clanique, est devenu Aulis[2].
Adventus, Règle de Vie,
Quatrième Profondeur : trinité de mort que nous regardons scintiller telle
la gemme d’Ambre, dans les chauds orangés de notre eucharistie masticatoire.
*
Sous Iasal tout est dur, belliqueux
et terrien. Ce n’est probablement rien d’autre que la résultante de ce
programme de lutte auquel nous n’avons de cesse de nous livrer sous l’égide de
Pyo, au plus grand bonheur de Jean-Paul : l’exercice a muté en une forme
d’entraînement précis doté d’un vocabulaire, d’un rythme et d’un objectif. Wodrra. Abattre. Les réticences, la
fatigue, les frondeurs, les insoumis, les Enfouis. Les autres. Tous les autres.
La mécanique de renversement nous ayant menés du refus de la mort à la
possession de la mort dynamite de derniers barrages : il nous faut creuser
plus loin, non plus pour rejoindre l’Union, la Troisième, d’autres hommes, mais
pour leur apporter quelque chose. Enfin non. Pour le leur imposer.
Aulis-Iasal. Iasal-Aulis.
Hört-Henri est sollicité pour tracer des plans, dessiner des perspectives et
griffer des esquisses. L’Eléphant n’a plus besoin d’aiguiller de mouvement :
chacun s’est investi d’une tâche. Il extirpe religieusement le plan de la
Troisième Profondeur, puis le replie et le renfourne contre son torse.
Nous comptons vraiment forer une autre Profondeur.
Mooc alignera verticalement
notre quatrième étage avec ceux qui le surplombent, jusqu’à la Surface, comme le
puits qu’a dessiné Hört-Henri au tout début sur la paroi de la Fosse. Ce sera la
toute première de nos Cités-Puits. Nous y rassemblerons les éléments
logistiques et humains nécessaires à la mise en œuvre de notre assaut. Un
assaut sur quoi ? Pour quelle raison ? Cette question ne se pose pas.
Il est naturel de devoir en passer par quelque chose d’agressif. Aux portes
d’un retour à une réalité qui nous galvanise, nous, les
« aulionniens », nous préparons à nous imposer. La seconde partie du
plan d’Alphan se concrétise.
Un cartel de stratèges naturellement
constitué de Georges, de Jean-Paul et de Panthéa s’est attelé à un plan de
bataille qu’ils formalisent en six Quarts et que nous avalisons en moins d’un
seul. Son antienne ? Constituer une série de jalons tout au long d’une
Quatrième percée toujours plus en avant, sous chacune de ces « cités-base »
de Troisième indiquées comme à l’aplomb d’un axe remontant, à travers le deuxième
étage, puis les sous-sols, jusqu’à un Bunker de Surface. Ultime Offensive. Des
noms se posent partout sur les choses sans plus d’effort. Hört-Henri travaille
d’arrache-pied, le plan ne tarde pas à occuper un pan entier de la grande pièce
du fond. Des tracés légers s’entremêlent dans un fouillis de hachures et de
zébrures mais les points stratégiques sont marqués, et visibles : les
aciéries d’Yo, à l’extrême ouest. L’uranium combustible de Sephta, au
septentrion. Nous ne comptons sur rien de plus que de régner sur des milliers
de kilomètres carrés, à nous onze, le cerveau dynamité par l’isolement, l’Ambre
et la mégalomanie.
Quant au Terminal, je me
rappelle Hört-Henri en faire apparaître la première ébauche en une centaine de
traits tracés à même le sol de la Fosse abandonnée, à Aulis… Ma Bibliothèque.
Chacune de nos lois, de nos règles, de nos convictions, et le commandement qui
lui est attaché, représenté par un faciès. Et plus tard, ces centaines de
visages enchâssés comme autant de menaces adressées aux autres cultes. Un totem
souterrain à l’échelle de l’Ambre. Un mur de connaissance et de lois édifié à
notre gloire, pour que chacun se souvienne. Un Mur-Mémoire.
Techniquement, c’est sur
l’hyper-calculateur qui régule le monticule de piles d’uranium du Bunker
Central de Sephta que tout repose. C’est à notre doyenne qu’est confiée l’écrasante
tâche de concevoir un Répartiteur : Hymett doit venir à bout d’un algorithme
permettant d’assigner à chacun de ces faciès une connectique. Nous règnerons
aux quatre coins des profondeurs connues sous l’égide d’une centrale atomique.
Nous soumettrons les souterrains avec Ultime Offensive, et y brillerons avec le
Terminal/Mur-Mémoire, en tous points. Nous érigerons des Cités-Puits tout au
long des terres séparant l’Est de l’Ouest, et le Nord du Sud.
Nous sommes les
Aulionniens, créateurs de l’Adventus et du sanctuaire d’Aulis. Nous fondons un ordre politique, social et moral. Nous
briserons toute tradition en libérant les hommes car nous les dénuderons de
tout : notre Ecole est sans dieu, nous avons la Règle pour unique régulateur.
[1] Adventus = Vasd Neut
[2] « cheval de Troie » : 1/ nom familier
donné à un virus - 2/ nom de code de la
stratégie d’infiltration programmée par Maulian pour éliminer un par un les
accès aux élévateurs lors d’Ultime Offensive – 3/ dans l’Iliade d’Homère, les
grecs partent du port d’Aulis pour se rendre à Troie
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